2. LES DÉBUTS DE L’AGRONOMIE MODERNE

L’avancement des sciences et des nouvelles technologies de la fin du 19e siècle était tel que les gouvernements modifient le système scolaire pour y inclure les sciences et technologies agricoles. La Loi sur les stations agronomiques, édictée par le gouvernement fédéral en 1886, lance la création des premières fermes expérimentales pour le développement des sciences agricoles à travers le Canada. Au Québec, les Écoles d’agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (1859) et d’OKA (1893) ainsi que le Collège Macdonald (1907) instaurent les premiers programmes de sciences agricoles québécois dès le début des années 1900.

Au début des années 1900, la majorité de la population québécoise pratique l’agriculture vivrière avec pour objectif de loger, habiller et nourrir la famille, mais il y a place au changement: « Agriculture familiale et autarcique, habitudes de culture routinière et sols usés, faibles rendements, ignorance et apathie, éloignement des marchés, manque d’instruction, voilà les principales caractéristiques de ce monde agricole en train de s’enliser et qui ne trouve comme solution que l’émigration. L’industrie laitière assurera la relève de cette agriculture déficiente et proprement appuyée et dirigée, saura la sortir de l’ornière. » (1)

À la fin du 19e siècle, l’adoption d’une loi pour la création de fermes et de stations expérimentales fédérales a permis, sous la gouverne du Dr William Saunders, la création de cinq fermes expérimentales: la ferme principale et centrale à Ottawa (pour l’Ontario et le Québec), Nappan (N.-É.), Brandon (Man.), Indian Head (Sask.) et Agassiz (C.-B.). (2) Dès le début du 20e siècle, de nombreuses stations expérimentales fédérales s’ajoutent et constituent le réseau de stations de recherches en agriculture, à travers le Canada.

La ferme expérimentale centrale à Ottawa. En 1918, le gouvernement provincial lance la ferme de recherche agricole de Deschambault. À l’origine, elle est une pépinière créée pour remplacer les pommiers détruits après le rude hiver de 1917. Elle devient une ferme-école en 1931 et une station de recherche agricole en 1952, avec le mandat de réaliser des travaux de recherche en zootechnie, en horticulture et en grandes cultures. En 1998, le MAPAQ et l’Université Laval y fondent le Centre de recherche en sciences animales de Deschambault (CRSAD).

Bien avant le début de la démocratisation de l’automobile pour se déplacer, le remplacement de la force motrice du cheval pour travailler les champs et l’électrification des campagnes, l’École d’agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, affiliée à l’Université Laval (1912), l’Institut agricole d’Oka, affiliée à l’Université Laval à Montréal (1908) et le Collège Macdonald mettent sur pied leurs programmes de sciences agricoles, lançant du coup l’agronomie moderne.

Les fondateurs de ces écoles sont: l’abbé François Pilote, directeur du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, le Père trappiste Dom Antoine Oger, Louis Beaubien, commissaire à l’agriculture, W.C. Macdonald, manufacturier de Tabac et James William Robertson, commissaire à l’industrie laitière à Ottawa.

Sources :

1: François Hudon, L’action agronomique au Québec, son histoire-son œuvre, Ordre des agronomes du Québec, Juin 1987, p. 16

2: T.H. Anstey, Cent moissons, Direction générale de la recherche, Agriculture Canada 1886-1986, Série historique no 27, 1986, p.11

2.1 Les pionniers de l’agronomie moderne

Les pionniers de la profession d’agronome sont les premiers dispensateurs de conseils, de services et de sciences agricoles. L’agronome Jean-Charles Magnannous les présente en ces mots: «Faire agréer  et  mettre  à  profit  les  bonnes  méthodes,  vulgariser  les  meilleures  pratiques,  pourvoir  à l’éducation  rurale,  aider  les  coopératives,  les  caisses  populaires,  l’Union   catholique   des cultivateurs, les cercles de jeunes, organiser les concours de ferme, etc., redonner une dignité à l’agriculture et créer une fierté rurale chez le peuple, voilà la première mission, très nouvelle et très dure, qui échut aux pionniers de l’agronomie.» (1)

1: Jean-Charles Magnan, Confidences, p.115 https://archivescanada.accesstomemory.ca/magnan-jean-charles-1891-1985

Texte ajouté par de C.-A. St-Pierre

La coïncidence est totale avec cet article que je lisais ce matin au sujet de l’importance des Magnan père et fils dans l’enseignement agricole. Toutefois, la démarche la plus importante effectuée par Caron demeure l’embauche de cinq agronomes de district, dont les salaires viennent des octrois fédéraux.

Bacheliers de l’Institut agricole d’Oka, ces nouveaux fonctionnaires sont désireux de légitimer leur présence et leur savoir auprès de la population rurale. Ils choisissent de canaliser une bonne partie de leur énergie vers l’école primaire, lieu propice pour refouler le scepticisme des parents et former l’élite agricole de demain.

Jean-Charles Magnan, fils de Charles-Jean qui, en 1911s’est vu confier par le gouvernement libéral de Lomer Gouin le poste d’inspecteur général des écoles catholiques, s’affirme bientôt comme le chef de file de cette première génération d’agronomes québécois.

En 1913, Magnan crée un précédent en devenant professeur d’agriculture à l’Académie de Saint-Casimir-de-Portneuf, dirigé par les Frères de l’Instruction chrétienne. Sur une ferme expérimentale située près de l’école, il organise un vaste jardin où ses élèves se livrent à différentes cultures. Il établit aussi un musée agricole et rédige plusieurs brochures sur ses méthodes d’enseignement, qui sont ensuite distribuées dans les écoles par le ministère de l’Agriculture. Les efforts de Magnan à Saint-Casimir portent fruit.

En 1915, une vingtaine d’académies rurales de garçon sont ajoutées à leur programme des cours théoriques et pratiques d’agriculture. Ces résultats ont de quoi réjouir le jeune agronome; en effet, Magnan déplore comme beaucoup d’autres l’influence néfaste des académies commerciales qui, écrira-t-il plus tard dans ses souvenirs autobiographiques, préparaient « par l’entremise d’un singulier programme scolaire » des gens pour toutes les professions, sauf celle de l’agriculture, et où le « souci de former une élite agricole » n’existait tout simplement pas.

CA St-Pierre 6 décembre 2021

2.2 Les cercles agricoles; un outil privilégié par les agronomes

Les cercles agricoles, qui œuvrent à l’échelle de la paroisse, encouragés et supportés par É. A. Barnard et le clergé, ont été reconnus en 1894 avec la Loi sur les cercles agricoles, maintes fois abrogée. Créés pour les fins d’établissement des sociétés d’agriculture, ils ont été un important levier de la modernisation de l’agriculture québécoise en engendrant le mouvement coopératif agricole et les regroupements de cultivateurs. Ils ont facilité la formation agricole, l’accueil des conférenciers, l’accès aux livres et journaux agricoles et l’implantation d’entreprises.

Les rassemblements en cercles agricoles ont favorisé le développement de plusieurs organisations agricoles et l’implantation de l’industrie de transformation des aliments tels que les fromageries, les beurreries, les fabriques de sirop de sorgho et même celles de sucre de betterave. Plusieurs cercles de jeunes se succèdent (jeunes fermiers, jeunes agriculteurs, jeunes éleveurs, jeunes ruraux) avant la naissance de l’Association des jeunes ruraux du Québec (AJRQ). Les cercles de machineries agricoles sont l’ancêtre des coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA).

Les Cercles de Fermières, créés en 1915 par les agronomes Alphonse Désilets du ministère de l’Agriculture et Georges Bouchard, professeur à l’École d’agriculture de Sainte-Anne-de-la Pocatière, l’ont été en vertu de la Loi sur les cercles agricoles. En 1968, ils se sont incorporés et dotés d’une charte.

« À notre avis, dit le Journal Agriculture, les cercles ont une mission toute tracée. Ils doivent d’abord servir de trait d’union entre leurs membres, leur permettant d’obtenir plus facilement et à meilleur marché, par l’association, tout ce dont ils ont besoin : grains et graines de semence, instruments et animaux améliorés, etc. Les cercles peuvent aussi faciliter grandement les entreprises publiques. » (1)

1 : N. E. Dionne, rédacteur en chef du Courrier du Canada, Les cercles agricoles dans la province de Québec, 1881, p. 17-18

2.3 Les débuts de la recherche en sciences agricoles au Québec

Au Québec, le gouvernement fédéral installe, en 1910, sa première ferme expérimentale à SainteAnne-de-la-Pocatière, laquelle sera complétée d’un laboratoire de recherche. Elle devient, en 1995, le Centre de développement bioalimentaire du Québec (CDBQ). L’année suivante, il achète la Ferme Stadacona et en fait sa Station de recherche de Cap-Rouge (1) pour l’horticulture, la génétique, l’alimentation et la gestion des chevaux et bovins canadiens. De 1920 à 1949, la recherche animale est relocalisée à la ferme du Séminaire de Québec à Saint-Joachim.

Un réseau fédéral de stations, laboratoires et fermes de recherche s’installe : Farnham (1912), Covey Hill (1912-1940), Lennoxville (1914), Hemmingford (1914), La Ferme, en Abitibi (1916- 1936), Normandin (1936), Macamic (1937-1943), Hull (1937), L’Assomption (1928-1985), CDRH de Saint-Jean-sur-Richelieu (1940), Saint-Charles-de-Caplan (1948-1970), Station de recherche de Sainte-Foy (1967), Sainte-Clotilde (1956-1962), Fort Chimo (1956-1965), Centre de recherche et de développement de Saint-Hyacinthe (1987). (2)

1 : T.H. Anstey, Cent moissons, Direction générale de la recherche, Agriculture Canada 1886-1986, Série historique no 27, 1986, p. 38-39

2 : Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), Les innovateurs enracinés dans la science, Histoire de la Direction générale de la recherche de 1986 à 2011, 442 pages

2.4 L’action agronomique s’organise au début du 20e siècle

Au début du 20e siècle, bien que l’industrialisation et les moyens de transport fondent beaucoup d’espoir pour faciliter le travail à la ferme, pour augmenter la production et les rendements et faciliter l’accès à des marchés auparavant inaccessibles, l’action agronomique s’organise et se popularise, surtout à partir des années 1910.

Ce changement survient à la suite de l’instauration des programmes universitaires en sciences agricoles au Collège Macdonald et aux écoles supérieures d’agriculture d’Oka et de Sainte-Annede-la-Pocatière, de la mise sur pied d’un service agronomique en 1913 par le gouvernement du Québec, de l’engagement financier soutenu et avec les contraintes et opportunités de la 1 re Guerre mondiale (1914-1918) ainsi que de la crise économique des années 30.

Références pertinentes :

Marie-Josée Lettre, archiviste, L’enseignement agricole à Sainte-Anne-de-la-Pocatière

Urgel Lafontaine, missionnaire, Les Révérends Pères trappistes à Oka

John Fergusson Snell, professeur, History of Macdonald College of Mcgill University, 1904- 1955