La Section des agronomes de la région de Québec a instauré l’implication des techniciens agricoles (agronomes) dans le chantier de l’électrification rurale. Ces derniers ont saisi l’occasion de démontrer, au gouvernement et au milieu rural, leur rôle incontournable au progrès de l’agriculture québécoise. Les moyens d’intervention du temps ont été les cercles ou comités d’études, les assemblées d’agronomes, les réunions de cultivateurs, les visites à la ferme, les démarches politiques, sans oublier l’utilisation des journaux.
En 1939, seulement 20 % des fermes québécoises profitent de l’électricité. Malgré le fait que la société québécoise considérait l’électricité comme un outil collectif de développement économique et comme un service public à part entière, celle-ci était encore entre les mains de compagnies privées. Les agronomes de la Section de Québec partagent cette idée que l’électrification rurale « c’est l’électricité mise à la disposition des ruraux comme elle l’est déjà au service des citadins ». (1) Plusieurs sont d’avis que c’est un puissant secours contre la désertion des campagnes. L’électrification rurale est alors un puissant argument de propagande politique.
Deux membres de la Section de Québec, spécialistes du domaine, les agronomes Albert Rioux et Jean-Paul Paré de la compagnie Québec Power, y jouent un rôle de leader auprès de leurs collègues. Jean-Paul Paré affirme que : « C’est à la filiale de Québec que revient l’initiative d’avoir entrepris l’étude de l’électrification rurale au sein de la Corporation. » (2) Il rappelle les travaux de l’ingénieur René Dupuis et d’Albert Rioux. Selon lui, « … les techniciens agricoles ont un rôle à jouer en ce domaine comme en tout ce qui touche de près ou de loin à l’économie rurale ». (3)
Il est particulier de constater qu’ils ne sont pas toujours du même avis. Pour l’agronome Albert Rioux, il faut l’implication de l’État pour l’accès à des services abordables. L’agronome Jean-Paul Pagé « ne semble pas convaincu que l’abaissement des taux de l’électricité susciterait dans nos campagnes une forte augmentation de la consommation, car les coûts des instruments électriques et leurs frais d’utilisation sont prohibitifs ». (4) « Il suggère la nomination, au sein de la Corporation des agronomes, d’un comité qui se chargerait d’étudier la question de l’électrification rurale, comité qui devrait s’adjoindre un ingénieur. » (5)
Pour s’impliquer à titre de propagandistes, les agronomes de la Section ont dû s’outiller à l’aide de comités ou de cercles d’études qui précèdent les assemblées générales, avec des sujets comme : Électrification de la ferme, le rôle des techniciens agricoles; Électrification rurale, applications nouvelles à la ferme et rôle de l’agronome; Réfrigération et coffres froids (réseau ferroviaire); Étude de la chaîne de froid. À travers le Québec, les agronomes ont été d’une aide précieuse pour la mise en place des coopératives d’électricité et des réseaux municipaux, appuyés par la loi fondant Hydro-Québec, soit la Loi établissant la Commission hydroélectrique de Québec, du gouvernement d’Adélard Godbout, agronome.
La collaboration entre les ingénieurs et les agronomes a été telle que la presque totalité des fermes était électrifiée dès 1960.
Sources :
1 : Yves Tremblay, Histoire sociale et technique de l’électrification au Bas-Saint-Laurent, 1888- 1963, Volume II. Thèse présentée à l’école des gradués de l’Université Laval pour l’obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph. D.), Faculté des lettres, Université Laval, juin 1993, chapitre IX, p. 281. Voir : https://corpus.ulaval.ca/jspui/handle/20.500.11794/29274 Il s’agit d’un extrait d’Albert Rioux, L’électrification rurale du Québec, Sherbrooke, Imprimerie Le messager StMichel. Thèse de doctorat en sciences sociales, politiques et économiques, soutenue à l’Université Laval, le 10 juin 1942, p. 6.
2, 3, 4 et 5 : Corporation des agronomes de la Région de Québec, PV de la réunion du 1er décembre 1941, Chambre 223 – Édifice G.
Autres lectures proposées :
https://www.erudit.org/fr/revues/haf/2000-v54-n1-haf213/305653ar.pdf, tiré de la Revue d’histoire de l’Amérique française, par Marie-Josée Dorion, Volume 54, numéro 1, été 2000.
https://depot-e.uqtr.ca/id/eprint/4861/1/000640727.pdf, Mémoire présenté à l’Université du Québec à Trois-Rivières, par Marie-Josée Dorion, décembre 1997.
14.1 La vie professionnelle d’Albert Rioux
L’agronome Albert Rioux est né dans le comté de Matapédia. Il détient un diplôme d’agronomie de la Faculté d’agriculture de Laval à Sainte-Anne-de-la-Pocatière. Il a été un élève d’Adélard Godbout à l‘École d’Agriculture. Après son diplôme d’agronomie, il revient à Sayabec et pratique l’agriculture. « En 1925, il a fondé le cercle local de l’UCC et devient le principal organisateur dans la région. » (1) En 1931, il est maire de sa municipalité. Il obtient sa licence avec une thèse sur la comptabilité agricole, soutenue à la Faculté d’agriculture de l’Université Laval en 1929.
Agronome et cultivateur, il est président de l’Union catholique des cultivateurs (UCC) de 1932 à 1936 et sous-ministre de l’agriculture de 1936 à 1939, sous le gouvernement Duplessis. « À peu près à ce moment-là, il est devenu conseiller d’une minuscule coopérative d’électricité, à ce qu’il semble la première au Québec, la Coopérative agricole de Distribution d’Électricité de Compton-Station, dans le comté de Compton. » (2) Sans fonction officielle, il profite de la destitution du parti par les libéraux de Godbout en 1939, pour écrire et publier une thèse de doctorat en sciences sociales sur l’électrification rurale (Laval, 1942). Il a été membre de l’Office de l’électrification rurale fondée en 1945, pour favoriser l’électrification rurale par les coopératives rurales de distribution.
Selon Albert Rioux, Charles Gagné, professeur d’économie rurale à l’École d’agriculture de La Pocatière, aurait été « le premier porte-parole des cultivateurs pour réclamer l’électrification rurale ». (3)
L’agronome Rioux était favorable au projet du libéral Godbout de nationaliser l’électricité.
De 1945 à 1949, il est président de la Section des agronomes de Québec (CARQ). Il est détenteur de l’Ordre du mérite agricole (1945).
Sources :
1 et 2 : Yves Tremblay Histoire sociale et technique de l’électrification au Bas-Saint-Laurent, 1888-1963, Volume II. Thèse présentée à l’école des gradués de l’Université Laval pour l’obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph. D.), Faculté des lettres, Université Laval, juin 1993, chapitre IX, p. 313 et 314. Voir : https://corpus.ulaval.ca/jspui/handle/20.500.11794/29274
3 : Ibid Yves Tremblay, p. 294. Citation d’Albert Rioux, Électrification rurale du Québec, Sherbrooke, Imprimerie Le messager St-Michel, 1946, p. 80. Il s’agit d’un extrait de sa thèse de doctorat en sciences sociales, politiques et économiques, soutenue à l’Université Laval, le 10 juin 1942.
Autres références sur le sujet :
Yves Tremblay, Entre le privé et le public : l’électrification rurale au Québec, 1935-1964 (article), Bulletin d’histoire de l’électricité, 1993, p. 173-185.
Marie-Josée Dorion, L’électrification du monde rural québécois, Revue d’histoire de l’Amérique française, Volume 54, numéro 1, été 2000, Centre d’études québécoises, Université du Québec à Trois-Rivières, Article.
14.2 La vie professionnelle de Jean-Paul Pagé
L’agronome Jean-Paul Pagé entre à l’Institut agricole d’Oka en 1937, en deuxième année, et obtient son diplôme en 1940. Il a été élu président de sa classe et de sa promotion. « Il préféra au fonctionnarisme traditionnel, un emploi dans une compagnie d’électricité, la Québec Power Co., où il travaille à défendre les meilleurs intérêts des cultivateurs en les éduquant aux bienfaits innombrables de l’électricité dans l’organisation des fermes. » (1)
Source :
1 : Père Louis-Marie, L’Institut d’Oka, Cinquantenaire 1893-1943, p. 383.
14.3 Ce qu’il en coûtait pour électrifier une ferme vers 1940
Selon Rioux : « Les coûts d’électrification d’une ferme : 324 $ pour l’entrée électrique, l’électrification de la maison et de ses dépendances. Habituellement moindre parce qu’on ne fait installer, le plus souvent, une seule entrée, et 4 ou 5 sorties seulement. Aussi, les lignes rurales fonctionnent-elles souvent à déficit. » (1)
Source :
1 : Corporation des agronomes de la Région de Québec, PV de la Réunion du 1er décembre 1941, Chambre 223 – Édifice G