Actualités

Bon Jour de la Terre!

Afin de célébrer le Jour de la Terre, nous vous proposons de découvrir ou de redécouvrir l’article intitulé Les mycorhizes, un atout pour l’agriculture moderne que J. André Fortin et Salma Taktek ont rédigé en 2016. À l’époque, l’article a été publié sur l’Agro-Nouvelles, l’ancien blogue de l’Ordre.

Les mycorhizes, un atout pour l’agriculture moderne

Tous les principes à la base de l’agriculture moderne ont été conçus et sont appliqués comme si les mycorhizes n’existaient pas. Or elles existent depuis plus de 400 millions d’années et affectent profondément le fonctionnement de l’ensemble des plantes de la planète. Il semble donc qu’il faille réexaminer ces principes et leurs applications pour tenir compte de cette réalité incontournable. La symbiose mycorhizienne constitue un phénomène fondamental et universel dans l’évolution et le fonctionnement des plantes et des écosystèmes terrestres.

Pour comprendre le fonctionnement de la plante mycorhizée, il faut savoir que les champignons responsables pénètrent de façon subtile dans des cellules du cortex racinaire, où elles ont directement accès à une source d’énergie. De là, elles tissent dans le sol un immense réseau mycélien, de sorte que sous un 1 m2 de prairie, il existe 9-10 m2 de surface racinaire, mais plus de 100 m2 de surface mycélienne. Déjà, cette modification physique confère à la plante un accès significativement accru aux nutriments et à l’eau du sol.  L’inoculation de la pomme de terre, par exemple, conduit à des résultats intéressants pour les agriculteurs.

Sous l’influence du champignon mycorhizien, le métabolisme de la plante est également profondément modifié, certaines substances (e.g. la proline) étant beaucoup plus abondantes, il y apparaît également des substances nouvelles, les mycorhizines. Par son intervention via l’acide jasmonique, une hormone peu connue avant de découvrir son rôle chez la plante mycorhizée, celle-ci voit des sentiers métaboliques s’activer, notamment ceux impliqués dans la défense contre les champignons pathogènes, les nématodes, les pucerons, etc. Chez les plantes aromatiques et pharmaceutiques, les teneurs en agents actifs se voient augmentées.

De plus, la présence des mycorhizes affecte les aspects physiques du sol par la production de la glomaline, une glycoprotéine intervenant dans l’agrégation des particules du sol (grumelage) favorisant les échanges gazeux et la perméabilité du sol. Finalement, des recherches plus récentes montrent que la composition et le goût des aliments se verraient modifiés sous l’effet des mycorhizes.

Parmi ces nombreux apports des mycorhizes aux plantes, le plus connu porte sur la nutrition phosphatée, ce qui est dû en grande partie au fait que les ions phosphates ont une très faible mobilité dans le sol. Contrairement aux nitrates qui diffusent très rapidement et qui pour ainsi dire viennent combler la diminution de ces ions autour des racines à mesure des besoins, dans le cas des ions phosphates c’est la plante qui doit aller à leur devant. Les racines sont relativement peu efficaces pour faire ce travail, et leur coût énergétique élevé pour augmenter l’apport en phosphore (P) plaide en faveur des mycorhizes, avec leur immense surface d’absorption, allant bien au-delà de la zone explorée par les racines.

Dès leur apparition sur Terre, il y a plus de 400 millions d’années, les toutes premières plantes vasculaires ont dû s’accommoder du P présent dans les cendres volcaniques formant des sédiments dans les estuaires, où elles sont apparues. Dans ces cendres volcaniques, le P était présent sous forme de fluorapatite. Encore aujourd’hui, la vaste majorité des plantes des milieux terrestres naturels de la planète (e.g. l’érablière) obtiennent leur P à partir de la fluorapatite d’origine ignée. En agronomie, cette source de P a pourtant toujours été considérée comme peu propice à utiliser comme fertilisant.

L’existence de bactéries solubilisant des phosphates (BSP) dans les sols est bien connue et le professeur Hani Antoun de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation (FSAA) de l’Université Laval, directeur de la thèse du Dr Taktek, est un expert international sur ce sujet. Comme spécialiste des mycorhizes, nous lui avons soumis la proposition suivante.

D’abord, les prémisses

  1. A) Les BSP libres dans le sol sont toujours en quête d’énergie et doivent compétitionner avec les autres micro-organismes du sol.
  2. B) Les ions phosphates libérés ne diffusent pas vers la racine à moins de se former au contact de la racine.
  3. C) La surface d’absorption du mycélium mycorhizien est plusieurs fois plus grande que celle des racines.

Voici l’hypothèse

  1. A) Des BSP étroitement associées au mycélium des champignons mycorhiziens profiteraient d’une source sûre d’énergie, apportée par le champignon à partir de la plante.
  2. B) Les produits de la solubilisation iraient directement à la plante via le champignon, plutôt que de se perdre dans le sol. Ainsi, le processus se passerait là où ça compte. Le professeur Hani Antoun a réuni une équipe financée par le Fonds de Recherche du Québec Nature et Technologie (FQRNT) regroupant les professeurs Yves Piché et J. André Fortin (Université Laval) et Marc St-Arnaud (Université de Montréal).

La découverte de l’année

C’est dans le cadre de ce projet que Dr Salma Taktek a conduit ses études doctorales. Tunisienne d’origine, elle nous est arrivée ici avec une formation exceptionnelle prise à l’Université de Sfax en Tunisie, avec un baccalauréat et une maîtrise en génie biotechnologique, ce qui n’existe pas au Québec. Avec une autonomie et une ingéniosité remarquable, elle a démontré trois phénomènes peu ou mal connus pour en arriver à confirmer le bien-fondé des hypothèses. Avec une méthodologie originale consistant à piéger des bactéries issues d’érablières sur la surface des mycéliums du célèbre Glomus irregulare, elle a utilisé un substrat totalement dépourvu de matières organiques. Après avoir lavé et relavé le mycélium formé, elle en a fait un broyage pour ensuite l’étaler sur un milieu de culture, en Pétri. Plusieurs centaines d’espèces de bactéries se sont ainsi révélées, la moitié ne pouvant survivre au repiquage. Ayant vérifié la capacité des bactéries survivantes à solubiliser les phosphates de roche, elle a pu en sélectionner plusieurs dont elle a vérifié ensuite la capacité de former des biofilms accolés à la surface des hyphes du Glomus intraradices, sous des conditions aseptiques. Ainsi furent élues 6 bactéries particulièrement efficaces pour solubiliser un concentré de fluorapatite originaire du Québec (Arianne Phosphate inc.) en étroite collaboration avec le champignon mycorhizien. Enfin, en utilisant cette forme de phosphate de roche micronisé en présence du champignon mycorhizien et des meilleures bactéries BSP, elle a obtenu des plants de maïs aussi bien développés que ceux ayant reçu 100 % de la dose recommandée en superphosphate, selon les normes agronomiques actuelles. Ces résultats suggèrent fortement que l’on pourrait réduire, sinon éliminer, les superphosphates produits chimiquement comme fertilisants, en les remplaçant par la fluorapatite du Québec, à condition d’inoculer les sols avec le champignon mycorhizien et les BSP sélectionnées.

L’entreprise Premier Tech satisfait présentement aux demandes en inoculants de nombreux agriculteurs canadiens à l’échelle de centaines de milliers d’hectares et envisage en produire pour trois millions d’hectares.

Il faut donc concevoir que sur le mycélium d’une plante mycorhizée, ce sont des centaines de milliers de micro-usines biologiques qui sont à l’œuvre. Nous proposons que l’avenir de l’agriculture puisse fort bien passer par là. Au Québec, la minière Arianne Phosphate inc. s’affaire à produire le concentré d’apatite alors que Premier Tech est un producteur de l’inoculum mycorhiziens. À ceci viennent s’ajouter les bactéries du Dr Taktek. C’est un trio gagnant.

Bien sûr, l’étape suivante consistera à démontrer la faisabilité de cette proposition aux champs, ce à quoi nous travaillons présentement. C’est à suivre.

Pour en savoir plus : Les mycorhizes; l’essor de la nouvelle révolution verte, 2015. Éd. MultiMondes.

J. André Fortin, Ph. D.
Salma Taktek, Ph. D. (étudiante au doctorat au moment de la rédaction de l'article)